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J’ai peur! Nous avons tous peur!

Au moment même où je commence à t’écrire, j’entends les horrifiantes sirènes de l’ambulance non loin de notre maison. Je peux te dire, ma chérie, qu’aujourd’hui, mon cerveau ne les occulte plus. Je les entends toutes avec, à chaque fois, cette même angoisse saisissante. Alerte, des frissons me gagnent et mon estomac se tend, se tord, au point de me faire souffrir. Lorsqu’elles retentissent, elles me rappellent le jour du chaos, ce jour effroyable où le monde s’est écroulé sous mes pieds. Depuis ce traumatisme, mes angoisses se sont amplifiées. Et si ces sirènes résonnaient pour l’un de tes frères ? Ce son me terrorise ! Je crains ce fameux coup de fil m’apprenant que le pire est en train de se produire et que moi, impuissante, je reste là sans savoir que faire.

Tu as cessé de respirer, je ne le savais pas encore. L’ambulance a certainement passé devant la maison remontant la vallée pour te trouver et je n’ai pas réagi. Je ne l’ai même pas entendue, comme si ce bruit faisait partie du bruit de fond habituel de notre quotidien et que notre cerveau n’y prêtait plus attention. Je n’ai pas douté une seconde que l’alternance infernale de ces deux notes sonnaient pour toi. Si j’avais su, si seulement…

Entendre ces sirènes me fait revivre cette journée traumatisante et telle une scénariste je finis par dessiner un film dramatique sans issue heureuse possible, la pire fin imaginable, avec, comme acteurs, les personnes qui me sont chères. Et si c’était pour un de tes frères ou papa, cette fois-ci ? J’ai tellement peur de les perdre eux aussi. Je ne le supporterais pas, mon ange ! Je me lève du canapé, me dirige vers la fenêtre et je tente d’orienter l’ambulance en fonction du bruit, en espérant fermement qu’elle ne se dirige pas vers l’école.

De nature soucieuse, je suis devenue déraisonnable ! La moindre douleur, la moindre chute, le moindre mal-être prend des proportions insensées. Tout me fait peur. La moindre maladie, la moindre blessure pourrait avoir des répercutions fatales sur notre vie et provoquer l’irréversible. C’est vrai, petit cœur, je ne sais toujours pas pourquoi tu es morte, toi. Tu semblais en parfaite santé. Pas le moindre signe et, pourtant, tu es partie sans avertir. Tu étais souriante comme d’habitude et en une fraction de seconde, ta vie, notre vie a basculé.

Il y a deux mois, Mathis a attrapé une vilaine gastro-entérite. Rien ne restait dans son petit estomac. J’étais inquiète. En deux jours, il a perdu deux kilos sur vingt. Cela me paraissait important. J’ai suivi mon instinct de maman louve et je l’ai emmené aux urgences de l’hôpital de Sion. En détresse absolue dans ce lieu connu, j’ai vécu une nouvelle fois tes dernières heures. On nous a installés en salle d’attente. Ton frère était blanc. Je craignais que les vomissements reprennent. A plusieurs reprises, je lui ai demandé :

  • Mathis, tu es certain que tu n’as pas besoin de vomir, mon chéri ? 
  • Non, non, ça va.

Quelques minutes plus tard, après s’être allongé sur mes genoux, il m’a regardée avec ses yeux vitreux et, d’une toute petite voix, m’a dit :

  • Maman, ça va pas. 

Je l’ai pris dans mes bras et j’ai couru aux toilettes.

Mathis n’allait pas bien, c’était clairement visible. Il ne tenait plus sur ses jambes. J’ai demandé à une soignante s’il était possible de l’allonger quelque part. Les yeux cernés, le ventre creux, le teint pâle, le regard dans le vide, il luttait pour ne pas s’endormir.

  • Mathis, Mathis, réveille-toi, mon amour ! Ça va ? Tu me le dis, hein, si ça va pas?

J’étais clairement en panique. Et s’il s’endormait ? Et s’il ne se réveillait pas ? C’est infondé, ma chérie, je le sais, mais j’avais tellement peur !

Mon regard naviguait entre ton frère couché dans ce lit luttant contre le sommeil et cette porte sur laquelle je pouvais lire « salle des familles ». Je me suis souvenue de cette attente interminable avant d’avoir enfin de tes nouvelles qui, malheureusement, étaient mauvaises. Je me trouvais avec papa dans cet espace sans fenêtres. Nous avons espéré, prié pour un dénouement heureux. Si seulement, si seulement…

Le début de l’école a rimé avec petits virus. Tes frères n’y ont pas échappé. Dernièrement, Thibaut a fait une crise de faux-croup au milieu de la nuit. J’ai tenté de l’apaiser au mieux tout en parvenant difficilement à maintenir mon calme. Depuis ta mort, tout m’angoisse, tout me terrifie ! Chaque incident est une torture intérieure. Je constate avec désarroi que je commence à transmettre mes peurs à tes frères. Ils s’inquiètent rapidement et de manière irrationnelle. Cette attitude n’est pas saine, j’en suis consciente. Mais comment faire pour ne pas avoir peur alors que nous avons vécu l’horreur ?  

« La peur n’empêche pas la mort, elle empêche la vie. » Tu nous l’as montré, petit ange ! L’instant présent, l’instant présent, seule échappatoire pour laisser place au bonheur de la vie …

Auteur

norah.siegenthaler@bluewin.ch
Je m'appelle Norah Simon. Je suis née le 30 octobre 1989 à Lausanne. J'ai suivi une formation d'enseignante primaire à la Haute Ecole Pédagogique de Lausanne. J'ai toujours apprécié la lecture et l'écriture. Depuis le décès de ma fille, j'y ai trouvé un refuge, un moyen d'évacuer mon trop-plein d'émotions, un véritable exutoire.