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Le 21 janvier

Le 21 janvier. Une date. Un jour. Ta naissance.  Le 21 janvier 2021, c’est le début d’une histoire extraordinaire dont les premières lignes s’écrivent à l’encre indélébile du temps. C’est le commencement de notre aventure commune. Un voyage où chaque jour est une nouvelle page que nous écrivons ensemble. Le 21 janvier, c’est avant tout, la Rencontre de ma vie, celle d’une mère et de sa fille.  

Margaux, mon ange, aujourd’hui, nous soufflons tes bougies non pas pour compter tes années de vie mais pour honorer la flamme éternelle que tu as allumée dans la nôtre. Nos cœurs sont marqués par la peine, la souffrance. Or, aujourd’hui, nous choisissons de célébrer la splendeur de ton existence. Chaque année, à cette date, nous nous rassemblons dans l’intimité pour t’envoyer des mots doux en direction du ciel. Nous te rendons hommage. Un rituel tendre, particulièrement délicat. Simple. Une journée suspendue dans le temps.  Un moment où nos âmes convergent vers toi. Nous célébrons dans le silence doux de nos cœurs, ton anniversaire. Trois ans. Trois ans se sont écoulés depuis que tu as illuminé notre vie de ta présence éphémère. Je me rappelle ce jour où tu es venue la marquer d’une emprunte éternelle.

Il est midi. Mathis et Thibaut s’amusent chez grand-papa et grand-maman. Ils y resteront quelques jours. Papa et moi regardons « les douze coups de midi », une émission dirigée de main-maître par le célèbre animateur Jean-Luc Reichmann.  Installés autour de la table basse du salon, nous mangeons une pizza. Papa, adepte des classiques, s’est laissé tenter par la « quatre saisons ». Quant à moi, dans une audacieuse exploration de mes envies de femme enceinte, j’ai choisi la « pizza Hawaï ». Je te l’accorde, ma chérie, ce n’est certainement pas le choix gastronomique le plus judicieux juste avant le grand marathon. Assise sur un coussin au sol, l’assiette posée sur mon ventre arrondi, je tente de répondre aux questions du jeu télévisé. Entre deux bouchées, papa et moi nous prenons au jeu. Une petite compétition s’installe entre nous. Bon enfant. Amusement. Partage. Fou-rires. Un moment joyeux qui cache pourtant un stress intense. Jouer et plaisanter nous permet de détourner nos pensées vers des horizons plus légers. L’atmosphère semble totalement et faussement détendue. On le sait, ce 21 janvier 2021, sera un jour particulier qui restera à jamais gravé dans notre mémoire. Le terme du 14 janvier est dépassé depuis une semaine. L’accouchement va être provoqué aujourd’hui.

Avant le grand départ, je profite de m’assoupir quelques minutes. Je m’allonge sur le canapé et je ferme les yeux. 15h00. Rassasiés et reposés, la boule au ventre avec toi encore bien cachée à l’intérieur, nous prenons la route en direction de l’hôpital de Sion. L’anxiété m’envahit. Appréhension de la douleur. Crainte de ne pas être à la hauteur. Peur de l’inconnu. Entre nervosité et excitation, mes émotions semblent indomptables. Je tremble. Mon cœur bat la chamade. L’idée de la souffrance imminente me terrifie. Le trajet semble interminable.  Je ne réalise pas. Je n’y parviens pas. Inconcevable. Surréaliste. Mon ventre rond ne montre aucun signe d’un accouchement imminent et pourtant, je me rends à l’hôpital pour accoucher. Je ne suis pas prête. Mon corps ne l’est pas.

Nous arrivons dans le centre hospitalier quarante minutes plus tard. Il est 15h40. Papa gare le véhicule et nous finissons le chemin à pied. Je me déplace difficilement.  Depuis une mauvaise chute sur la neige quelques jours auparavant, mon bassin me fait terriblement souffrir. Je traîne mon gros ventre, mes seize kilos en plus et papa, ma petite valise à roulettes. A l’intérieur, mes vêtements pour les prochains jours d’hospitalisation, notre livret de famille, les ceintures pour le monitoring, une trousse de toilette et surtout ton adorable pyjama de sortie. Un pyjama gris avec des rayures jaunes et rouges orné d’un petit ourson sous lequel on peut lire « Baby bear ».

Nous franchissons le seuil de l’hôpital et nous nous rendons à l’accueil pour la procédure d’enregistrement. La réceptionniste nous demande nos dates de naissance et de mariage. Notre union religieuse remonte au 23 mai 2015. La date du civil, je ne m’en souviens plus. J’ouvre donc rapidement notre livret de famille et je constate que nous avons échangé nos vœux civiques le 21 janvier 2015. Soit 6 ans plus tôt. Une belle coïncidence. Une symbolique touchante. Le 21 janvier, c’est aussi notre anniversaire de mariage. Je me tourne vers papa et lui dis : « Si elle naît aujourd’hui, elle viendra au monde pile 6 ans après que nous nous soyons dit oui ». Nous rions. La réceptionniste aussi.

Les étiquettes en main, nous montons à l’étage dédié au service prénatal de la maternité. Nous sommes en plein covid. Un test rapide est nécessaire pour mon hospitalisation. Négatif. Soulagée, on m’installe dans une chambre standard vers 16h30. Rapidement, je fais la connaissance de la merveilleuse sage-femme qui nous prendra en charge jusqu’à l’heure des transmissions. Elle nous demande si tu es notre premier enfant. Je lui parle alors de tes grands frères. Nous échangeons sur leur gémellité et parlons de leur arrivée chaotique. Avec toi, je le sais, mon ange, ce sera différent. Tu es bien plus grande. On t’estime à 3kg600. Un joli bébé. Tu fais le poids des jumeaux réunis à leur naissance. Je me détends. Ton arrivée approche. J’ai hâte de te porter, de te rencontrer et de t’aimer.

La sage-femme prend le temps de nous expliquer le protocole qui sera mis en place pour la provocation, précisant que tout dépendra de la faveur du col utérin. Simultanément, elle met en place les capteurs sur mon ventre. Nous entendons ton petit cœur. Des frissons. Tu es là ! Comme le mien, il bat frénétiquement. Une petite fille très énergique. Tout va bien. Je suis rassurée. Vers 18h00, elle revient et me propose de pratiquer un décollement des membranes. J’accepte. Elle me dit que cela ne fonctionne pas toujours mais que parfois cela accélère le travail. Je rêve toujours d’un accouchement spontané. On verra. Nous patientons dans la chambre. La nuit est tombée. J’imagine alors que tu pointeras le bout de ton nez le 22. Rien ne presse. La provocation est repoussée au lendemain. Vers 19h, tout bascule. Je m’urine littéralement dessus et cours aux toilettes. Du liquide s’écoule en continu. Je m’adresse à papa. « Je crois que la poche est percée ». Il appuie sur le bouton pour appeler la sage-femme qui arrive quelques minutes plus tard. Elle nous confirme avec le sourire. « C’est bien du liquide amniotique. Votre princesse ne semble pas vouloir attendre la provocation de demain. Je crois que le travail vient de commencer ». Je souris. Je suis heureuse bien qu’un peu inquiète. Avant de refermer la porte derrière elle, elle me dit que je peux appuyer sur le bouton à tout moment. Je regarde papa, le sourire aux lèvres « Ça y est. Elle arrive notre princesse ! »

19h10. La première contraction douloureuse. J’ai mal. Très mal. Je me plie en deux. Elle passe. Cinq minutes plus tard, la prochaine, encore plus douloureuse. Celle-là me coupe le souffle. Insupportable. Deux minutes plus tard, encore une. Je crie de douleur. Intenable. Je souffre trop.  Je n’arrive plus à reprendre ma respiration. Les contractions s’enchaînent à une cadence bien trop rapide. Sans pause. Chaque deux minutes, mon ventre se durcit de plus en plus intensément et les contractions semblent interminables.

19h25. Je rappelle la sage-femme qui m’ausculte à nouveau.

  • Je crois qu’on peut vous descendre en salle d’accouchement. 
  • Quoi ? Déjà ? 

J’arrive à peine à parler. Je tente de respirer, de survivre à cette atroce douleur. Mon ventre se déchire à chaque contraction. Elle contacte les collègues en salle d’accouchement. Le service est plein, à saturation. Plusieurs mamans sont en train de donner naissance. Ouf ! Finalement, une petite salle se libère pour moi. On m’y emmène. Couchée sur le côté, accrochée à la barrière de mon lit, je me concentre sur ma respiration. En hyperventilation, je gémis. « Je ne tiens plus ! Vite ! Soulagez-moi ! Je veux la péridurale ! ». Arrivés un étage plus bas, on me dit qu’il va falloir me lever afin de m’installer pour l’accouchement. Le déplacement est laborieux. Affreusement douloureux. Deux sage-femmes me soutiennent de chaque côté. La distance semble énorme.

Dans la salle d’accouchement, une obstétricienne m’examine. Dilatation à 6. L’anesthésiste est occupé. Les transmissions. « J’ai besoin de la péridurale. Je n’en peux plus. Raboule ! ». Dilatation à 8. On me la pose enfin. Je ressens un fort besoin de pousser. Dilatation complète. 19h50. Je pousse. Je subis. Je suis épuisée. La péridurale commence à peine à faire effet.  

  • J’ai envie de dormir.
  • Non pas maintenant madame. Il va encore falloir pousser une dernière fois.

20h02. Ton premier cri. Tu es née. Ma petite fille est là. 3kg670 et 51 cm. Je craque. Tu es belle. Parfaite ! Des larmes coulent. Des larmes de joie. Le bonheur absolu. Sur mon petit nuage. Tu me fixes du regard « Bonjour, Margaux ! » Je me tourne vers papa, un peu tremblante : « J’ai réussi ! ». Blotties l’une contre l’autre, le temps s’arrête. Les battements de ton cœur résonnent en harmonie avec le mien. Ils battent à l’unisson. Je ressens le frémissement de ton souffle contre ma poitrine. Chaque fibre de mon être le ressent. Une évidence. Nos âmes se sont reconnues. Aucun doute. Tu es mon enfant. Je suis ta maman. Un lien indestructible, sans limite dans le temps et l’espace, vient de se façonner. Un fil invisible. Incassable…

Auteur

norah.siegenthaler@bluewin.ch
Je m'appelle Norah Simon. Je suis née le 30 octobre 1989 à Lausanne. J'ai suivi une formation d'enseignante primaire à la Haute Ecole Pédagogique de Lausanne. J'ai toujours apprécié la lecture et l'écriture. Depuis le décès de ma fille, j'y ai trouvé un refuge, un moyen d'évacuer mon trop-plein d'émotions, un véritable exutoire.