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Ton 4e anniversaire au ciel

21 janvier 2025. Je me réveille d’une nuit trop courte. Une de ces nuits marquées par de multiples réveils, ponctuée par les allers-retours dans la chambre de ton petit frère, pour réajuster une couverture, calmer un cauchemar, murmurer quelques mots rassurants. Le réveil sonne. Il est 5h45. L’heure de se lever, l’heure d’affronter une nouvelle journée de travail. La fatigue est là, mais je descends. Je vais bien, du moins c’est ce que je crois.

Dans la pénombre du salon, tout semble ordinaire. Le silence est encore paisible, entrecoupé par les crépitements du feu dans la cheminée. Puis, mon regard se pose sur le mur. Sur ton portrait. Ça me percute de plein fouet. Tout revient. La veille de ta naissance. Le mélange d’impatience et d’anxiété. Ta venue au monde. Ce moment unique où tout semble suspendu, où la vie bascule dans une évidence nouvelle. Le bonheur qui a suivi, intense, presque insoutenable de perfection. Et puis, ce vide. Ton absence. Ta mort.

Nous sommes le 21 janvier. C’est ton anniversaire. Cette date devrait être gravée dans chaque fibre de mon être. Comment ai-je pu l’oublier, même un instant ? Comment peut-on oublier l’anniversaire de son propre enfant, de celui qui n’est plus ? Mon cœur s’accélère, une culpabilité profonde m’envahit. J’ai presque oublié. Presque. Et pourtant, ça suffit à raviver des questions lancinantes, des doutes que je n’ose à peine formuler. Suis-je une mauvaise mère ? Suis-je trop absorbée par le quotidien pour m’accrocher à ces souvenirs précieux ?

Je me laisse tomber dans le fauteuil, les mains tremblantes. Les images affluent, comme si elles avaient attendu cet instant de faiblesse pour surgir. Ton sourire, d’abord timide puis rieur. Ton odeur de bébé, douce et rassurante. Le son de ta voix, ces balbutiements maladroits qui étaient pour nous une musique parfaite. Les nuits où je veillais à ton chevet… Et ce jour… Ce jour où tout a changé, où tu nous as été arrachée.

Le téléphone en main, je visionne en boucle la vidéo de ton arrivée à la maison. La porte qui s’ouvre. Tes frères qui courent vers moi. L’impatience dans leurs yeux. La joie. Que de la joie. Ils te regardent, fascinés par ce petit être emmailloté. Ce joli minois caché sous ce doux bonnet au visage d’ourson. L’un d’eux tend doucement la main pour effleurer ta joue, comme s’il craignait de te briser et t’envoie un bisou. L’autre saute de joie, incapable de contenir son excitation. « La petite soeur! La petite sœur ! » répètent-ils avec fierté. Leur vie allait changer. Notre vie à tous allait changer. Nous étions 5. Notre famille était complète désormais.

Les heures qui ont suivi étaient empreintes de magie. Les regards échangés, les éclats de rire, les premières photos prises à la hâte pour capturer chaque instant. Nous étions une famille comblée, liée par une promesse implicite de bonheur et d’amour. Aujourd’hui, cette vidéo est mon refuge. Elle est ma capsule temporelle, une échappatoire à la douleur de ton absence. Je la regarde encore et encore, et chaque fois, je souris à travers mes larmes.

Je respire profondément. Non, je ne t’oublie pas. Comment pourrais-je ? Tu es là. Partout. Dans chaque coin de la maison, dans chaque sourire de tes frères, dans chaque battement de mon cœur. Ce matin, c’est pour toi que je veux vivre. Une journée bien spéciale. Une journée de fête. Une journée de joie. Comme c’était le cas, il y a 4 ans. 4 ans déjà. Je t’imagine. Je t’imagine courir dans le salon, rire aux éclats, réclamer des cadeaux avec cette lueur malicieuse dans les yeux. Je t’imagine souffler tes bougies, entouré de notre amour, le visage illuminé par le feu vacillant et nos sourires. Un constat me frappe. Tu aurais aujourd’hui l’âge qu’avaient tes frères sur cette vidéo. Ce simple fait rend ton absence encore plus tangible, plus réelle. Cela me permet de mieux t’imaginer, d’esquisser dans mon esprit les contours de l’enfant que tu aurais pu être.

Je te vois, espiègle et curieuse, t’émerveillant devant chaque détail. Je t’entends inventer des histoires, poser mille questions, chercher à comprendre ce monde si vaste. Je sens dans mon cœur l’énergie que tu aurais apportée, les souvenirs que nous aurions construits ensemble. Cette pensée me brise autant qu’elle me réchauffe. Car, à travers elle, tu vis encore. Dans mon esprit, dans mon cœur, dans chaque geste que j’accomplis pour honorer ta mémoire.

Aujourd’hui, tes bougies, nous les allumerons sans toi. C’est une réalité. Terrible et douloureuse. Nous préparerons un petit gâteau, pas par habitude, mais par amour. Nous déposerons un bouquet sur la table, rempli de fleurs aux couleurs vives. Je murmurerai une prière, un merci pour le bonheur que tu as apporté. Et je me promets de vivre cette journée en ton honneur, avec la force et la joie que tu as semées en moi.

Pour honorer ta mémoire, pour chérir ce que tu as laissé derrière toi. Pour me rappeler que le temps qui passe n’efface rien ; il érode parfois la douleur, mais il ne peut altérer l’amour.

Alors je me lève. Je m’habille avec soin, comme pour une journée spéciale. Et je murmure à ton portrait : « Joyeux anniversaire, mon ange, mon bébé d’amour. »

Auteur

norah.siegenthaler@bluewin.ch
Je m'appelle Norah Simon. Je suis née le 30 octobre 1989 à Lausanne. J'ai suivi une formation d'enseignante primaire à la Haute Ecole Pédagogique de Lausanne. J'ai toujours apprécié la lecture et l'écriture. Depuis le décès de ma fille, j'y ai trouvé un refuge, un moyen d'évacuer mon trop-plein d'émotions, un véritable exutoire.

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